Isabelle Renard

L'INSTITUT FRANÇAIS DE FLORENCE, BANC D'ESSAI DE L'UNESCO?

En 1907, un jeune universitaire grenoblois, Julien Luchaire aidé de son université, décide d'installer, en terre étrangère, un nouveau type d'établissement français. Et c'est à Florence, riche d'une tradition cosmopolite et culturelle où la présence anglaise est prédominante mais où les Allemands sont implantés de façon institutionnelle depuis 1897 avec leur Institut d'histoire de l'art, alors que la colonie française est réduite à peu de choses, que va se tisser un lien étroit avec Grenoble. C'est donc bien dans la capitale intellectuelle et culturelle du Royaume d'Italie et non pas dans pas la capitale politique, que la diplomatie française va élaborer le premier essai d'institut culturel.

L'Institut répond, avant tout, à des motivations d'ordre scientifique et pédagogique. Il s'agit du premier essai rationnel d'extension et de perfectionnement des sections de langues vivantes des facultés des lettres. C'est donc d'abord une annexe de l'université de Grenoble fonctionnant à l'étranger : l'enseignement de l'italien constitue la fonction principale du centre, la motivation même de sa création.

Mais au fur et à mesure de son existence, l'Institut s'imposera, par-delà les vicissitudes de l'Histoire, comme un véritable centre de ralliement, un creuset culturel entre la France et l'Italie.

Après son expérience florentine (1907-1920), Luchaire, fort de son action dans le domaine de l'organisation des relations culturelles, entre, en 1921, à la Société des Nations comme expert permanent de la Commission consultative de Coopération intellectuelle. Au lendemain du traité de Versailles, il est frappé de voir que l'échafaudage international élaboré ne comprend aucun organisme d'ordre véritablement spirituel, le politique et l'économique étant seuls envisagés : "le Bureau International du travail était chargé de fonder un régime social du Travail [...]. J'imaginai un bureau chargé, parallêlement, d'organiser les relations intellectuelles entre les peuples" écrira-t-il dans sa confession. Il réussit donc à persuader l'un des promoteurs de la SDN, Léon Bourgeoisde la nécessité - pour une paix générale et une entente internationale durable - d'organiser également sur le terrain spirituel les rapports des peuples. Le 2 septembre 1921, L. Bourgeois convainc le conseil de la SDN de créer un comité de coopération culturelle dans lequel figurent entre autres Bergson, Marie Curie, Albert Einstein. En fait Luchaire projette et réalise la constitution de l'Institut International de Coopération Intellectuelle qui ouvre ses portes à Paris en novembre 1925- installé dans une aile du palais Royal - dont il est élu directeur en juillet 1925. Il pose, d'emblée, les jalons d'une sorte de centrale des relations intellectuelles qui voulait tenter de démontrer que toutes "les activités spirituelles étaient solidaires dans l'œuvre du rapprochement des peuples et de la construction internationale".

Sans retracer ici l'histoire de cet Institut, il importe de souligner quelles ont été l'origine et les motivations de cette seconde création. Il apparaît, tout d'abord, que l'Institut International de Coopération Intellectuelle reproduit à une échelle multinationale ce que Luchaire avait réalisé de façon bilatérale à Florence. Considérant que l'Institut français "était une réussite complète et d'importante conséquence", il désire - dans un souci d'interpénétration des cultures - généraliser l'expérience florentine et créer, en profitant de la SDN, quelque chose de plus vaste. On retrouve l'idée qui avait commandé sa création italienne : parvenir à un dialogue des cultures en abaissant les frontières spirituelles :

"...Il y avait à jeter des ponts par-dessus les fossés profonds qui séparaient, avec les frontières politiques et économiques, la vie mentale des peuples, leurs conceptions, leurs croyances, leurs activités intellectuelles. Du moment qu'on avait décidé d'abaisser les frontières matérielles, on ne pouvait laisser subsister telles quelles les frontières spirituelles ; il n'était pas raisonnable de compter qu'elles s'abaisseraient toutes seules. L'expérience que j'avais faite entre la France et l'Italie m'avait montré ce qu'on pouvait obtenir sur ce terrain : non certes des miracles, mais des résultats positifs."

Mais si Luchaire n'est pas resté à la tête de l'IICI, son œuvre, elle, a su continuer son chemin puisqu'elle est, en réalité, l'origine intellectuelle, le prototype et la préfiguration de l'actuel UNESCO. De nombreuses années plus tard, en effet, après avoir été mis à la retraite anticipée comme Inspecteur général par le gouvernement de Vichy, après avoir passé dans la Résistance les temps de l'occupation allemande, l'homme protée qui avait décidé désormais de se consacrer aux lettres, écrira à Prezzolini en 1953, se remémorant les heures parisiennes :

"...Que ces temps sont loin ! Pourtant voici qu'on va construire ici un palais immense pour l'UNESCO...Torres-Bodet (alors directeur général) me disait: "vous êtes la poule qui a pondu l'œuf" [et Luchaire de poursuivre] l'autruche géante qui en est sortie a les pattes enchaînées. Triste. Faisons de la littérature..."

En élargissant l'expérience florentine, il passe donc d'un rapprochement bilatéral à un rapprochement mondial où la culture est entendue comme lieu de rencontre des peuples. Peut-être, souhaitait-il par l'expérience de l'ICII, renouer le dialogue commun fondé sur la culture qu'il avait d'une certaine façon réussi à instaurer dans la capitale toscane jusqu'en 1914. Poursuivre, en somme, ce qu'il considérait comme sa vocation, "à laquelle [il] s'était entraîné par ce qu'il avait fait à Florence entre 1908 et 1914.[...] Travailler à la préparation spirituelle de l'entente internationale.". C'est donc cette même aspiration au dialogue des cultures qui a animé et commandé les deux expériences.